À l’heure où la demande d’énergie tend à s’accroître, où les prix de l’énergie progressent et où les réserves d’énergie fossile s’épuisent, comment faire mieux et autrement pour ménager les ressources ? Pour cela, il faut s’interroger sur l’avenir énergétique des villes. C’est en ville que la majorité des citoyens vivent, consomment et produisent et cette tendance s’accentue. Le sociologue Bruno Marzloff, fondateur du groupe Chronos, propose de mobiliser les usagers-citoyens dans cette démarche visant une ville plus intelligente.
« Nous héritons d’une conception de la ville liée à la consommation dans un contexte d’hypertrophie urbanistique, affirme-t-il. Les infrastructures urbaines – mobilités, énergie, déchets… – ont été construites pour accompagner la croissance de consommation des usagers. Cette évolution à laquelle la ville répondait jusqu’ici à chaque fois par de nouvelles infrastructures présente aujourd’hui des limites à la fois sociales, économiques, territoriales et environnementales. Les villes sont confrontées aux augmentations : des consommations énergétiques, des coûts et de leur accélération, de l’inélasticité de l’offre et des émissions des gaz à effet de serre. Comment réajuster ce marché d’une demande inflationniste face à ces étranglements de l’offre ? S’il est avéré qu’une politique s’appuyant uniquement sur l’offre ne résoudra pas à elle seule cette difficile équation, comment mobiliser la demande pour y parvenir ?
Laissons de côté les stratégies d’offre (régulation et coercition par les tarifs, etc.) et penchons-nous sur les stratégies de la demande.
C’est précisément un des objectifs des smart grids qui permet à la fois d’optimiser le fonctionnement des infrastructures de la ville grâce aux outils de communication et d’améliorer la gestion de l’énergie en impliquant les usagers. Avec le déploiement dans tous les logements d’un compteur intelligent type Linky, nous avons une base de travail robuste. Mais l’objet ne résout pas à lui seul des questions qui sont de l’ordre de mutations comportementales. Il se trouve d’ailleurs que la ministre de l’Energie Delphine Batho vient de confirmer la généralisation du compteur intelligent pour 2014, en même temps qu’elle mettait en place des groupes de travail pour « créer les conditions du développement des services d’efficacité et d’effacement » à partir de Linky, et plus généralement qu’elle lance un débat national sur l’énergie. Derrière le terme « effacement », il faut entendre une transformation, voire des réductions de consommation des usagers. C’est un énorme accroc à notre philosophie de la modernité, mais cette nécessaire mutation n’est possible qu’en redonnant la main aux usagers, en les mettant en capacité d’exercer leurs agilités à trouver des solutions et à modifier par eux-mêmes leur consommation. Cela veut dire que des services doivent être imaginés pour accompagner ces changements. Cela signifie aussi qu’il faut être attentif aux transformations en cours, qui ne vont pas manquer de s’accélérer le jour où les ménages disposeront d’un outil de monitoring de leurs usages. C’est de cette vigilance que naîtront les services que les acteurs du marché auront à construire, nouveau gisement de leur créativité.
Il se trouve que nous travaillons plus sur les domaines de la mobilité où ces « empowerments » sont plus évidents dans des pratiques de substitution (transport publics au lieu de la voiture), de partage (co-voiturage au lieu de la voiture soliste) ou d’évitement (e-commerce ou télétravail pour éviter certains déplacements obligés). Dans ces trois occurrences, ce sont les usagers qui sont à l’amorce de ces nouveaux comportements. Ce sont les usagers, qui ont encouragé par exemple le co-voiturage, un service aujourd’hui relayé par nombre de plateformes d’échanges Internet et d’applications mobiles. L’implication des usagers dans la construction de la ville intelligente passe en effet par l’interactivité et le partage de données, soutenus par les technologies numériques.
Dans ces trois occurrences aussi, les entreprises ont vu la possibilité de formuler des offres servicielles qui accompagnent le mouvement. Nous n’avons pas de doute que des ressorts du même ordre existent dans le domaine de l’énergie, qui amèneront les usagers à participer à la construction d’une politique où les bénéfices individuels rencontrent l’intérêt collectif.
Certaines collectivités ont déjà pris la mesure de cette autorégulation des usagers. Des villes lancent d’ailleurs des démonstrateurs associant les technologies de l’information et de la communication et la gestion des réseaux, tant en matière de transports que d’énergie. Ainsi, le Grand Lyon a mis en place le projet Optimod’Lyon dédié à la mobilité durable en ville. Le modèle est intéressant pour l’énergie puisque, à l’instar de Linky, les informations seront mobilisées à la fois par la collectivité, par le gestionnaire opérateur et par le consommateur. Les services fabriqués pour le voyageur (des informations sur les conditions de déplacement en temps réel, à partir de données provenant des opérateurs de transport – bus, tram, vélos, route… – et de batteries de capteurs disposées sur les voies) seront étendus aux professionnels logisticiens (livraisons). Même démarche pour le Grand Lyon dans le domaine de l’énergie, en développant des expérimentations de type smart grids, qui exploitent les TIC pour ajuster l’offre et la demande énergétiques (GreenLys, Smart Electric Lyon,…). Là encore l’intérêt de ces réseaux est de mettre les usagers à contribution.
L’intelligence de la ville est d’abord celle de ses citadins, avant d’être celle du numérique urbain ambiant, qui permettra à la fois d’optimiser les infrastructures et de réduire la consommation générique de ressources primaires. Elle passe par la créativité dans les technologies certes, par la mobilisation astucieuse et puissante de la donnée, mais surtout par la création de services. »
Dossier : la ville de demain
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